Les ombres de la 31ème Brigade : action psychologique et meurtres en série

Les massacres qui endeuillent Beni depuis six ans répondent à une stratégie doctrinale de contrôle des populations. Elle est actée par les forces spéciales de l’armée (FARDC), pilier d’un régime qui n’a pas changé en RDC après l’installation du nouveau chef d’Etat en janvier 2019

Le 18 juin, une vingtaine de combattants appartenant aux « présumés ADF » et aux groupes armés Maï Maï dissidents sont présentés par les autorités militaires à la presse de Beni, dans l’Est de la RDC (république démocratique du Congo). Ils auraient été capturés par les soldats loyalistes pendant les combats dans le Ruwenzori, dans l’est du territoire.

Un vétéran des Forces spéciales à la communication de l’Armée

Dans une deuxième opération de l’office de communication des FARDC confié au général Somo Kakule -ancien patron des Commandos Unité de Réaction Rapide de la 31ème Brigade et spécialiste de l’action clandestine-, on fait état des « révélations importantes » d’un autre membre des « ADF » arrêté par l’armée (FARDC). Ismaël Okumo, c’est son nom, aurait déclaré de percevoir un salaire de 30 dollars mensuels, remis selon lui par une autorité congolaise, et affirmé que son mouvement bénéficie de soutiens au Congo et en Ouganda. Tout en ajoutant que « tuer les civils dépend entièrement de ceux qui nous ordonnent de tuer »… Sceptiques, les Beniciens soupçonnent Okumo d’être un infiltré, bref un « agent double ». Ils se rappellent qu’il avait été déjà capturé et emprisonné à l’Auditorat de Butembo à la mi-avril.

Disparu soudainement des radars sans avoir été jugé, le voilà réapparaître pour les besoins de propagande d’une l’armée en rupture de confiance avec la population. Consciente du rôle que certaines de ses unités jouent dans la mobilisation des groupes des tueurs, cette dernière constate les « évasions » réitérées des « ADF » finis derrière les barreaux.

Phénomène datant depuis le début des massacres en octobre 2014. En juillet 2016, les experts des NU sur la RDC écrivaient dans les pages de leur rapport concernant la situation à Beni : «Les auteurs présumés de meurtres qui ont été arrêtés par des éléments des FARDC n’ont pas été ensuite présentés à des autorités judiciaires. Si un individu ayant participé à des tueries était capturé par les autorités, certains officiers des FARDC s’arrangeaient pour le faire libérer ». 

Pour dissiper les doutes sur ses agissements, l’Armée met périodiquement en scène ses succès. Des bases de « l’ennemi » démantelées, les armes et les gri-gris des agresseurs exposés sur la place publique, une embuscade déjouée, un milicien qui balance les siens… bref, les méthodes de l’« action psychologique », prévues dans les théories anti-insurrectionnelles pour domestiquer les esprits. Le cabinet de « sensibilisation des populations aux opérations militaires » du général Somo s’attèle à cette tâche. Elle n’est pas sans rappeler le célèbre 5ème bureau de l’armée française pendant la guerre d’Algérie… 

« Quiconque démoralisera les troupes, fera face à l’Armée »

Mais les subalternes de Somo -dont le lieutenant Antony Mualushayu, porte-parole de l’Armé et s’infiltré dans les réseaux sociaux pour faire œuvre de diversion et désinformation- ont du pain sur la planche. Une ambiance délétère règne entre l’ensemble de la société locale et les hauts rangs de l’opération Sukola1, démarrée début 2014, justement pour venir à bout de l’insécurité…   Néanmoins, la guerre psychologique prévoit des réactions musclées au mécontentement  des masses. « Quiconque démoralisera les troupes au front, fera face à l’Armée », prévient le général Jacques Ychaligonza, patron de la Sukola1, qui tance les mouvements citoyens, accusés de « banditisme ». Et n’oublie  de démentir les allégations de détournement des salaires des soldats qui le plaçaient parmi les officiers suspects… .

Les général Akilimali Muhindo Mundos, maître d’oeuvre des massacres à Beni avec la 31ème Brigade

Les Beniciens sont désemparés. Combien de fois les alertes lancées sur la présence des égorgeurs n’ont pas eu de suites, « faute de carburant », selon les responsables des FARDC avertis par les paysans en détresse ? Combien de fois on a vu que les biens et les animaux razziés pendant les assauts se trouvaient dans les campements de l’armée, souvent distants que quelques centaines de mètres des lieux des crimes ? D’autres questions fusent : où est-ce qu’ils tirent leurs gains les capitaines roulant en jeeps flambant neuves et malgré leur maigre salaire, sinon que dans le cacao cultivé avec leurs familles dans les champs abandonnés par les paysans suite aux attaques ?    

Le « mariage civilo-militaire» préconisé par la COM du bureau de « sensibilisation », est décidemment en passe. En train de virer au divorce.  Et rien ne servent les mesures draconiennes prises pour museler les médias via le siège local l’UNPC (Union nationale de la presse du Congo) qui, au contraire, suscitent des nouvelles frustrations.

Un faux départ…

Surtout que massacres et tracasseries ne cessent pas. Mercredi 17 juin, six personnes ont été tues suite à une incursion dans un champ de cacao aux alentours d’Halungupa, dans le secteur du Ruwenzori, peu distant de la caserne du 221ème bataillon. Le 18 avant midi à Kakuka et à Manzati, sur l’axe Eringeti-Kainama, deux positions FARDC du 313ème bataillon de la 31ème Brigade commandé par le colonel Michel Apoko Bangala ont été attaquées. On fait aussi état d’une femme décapitée à Apetina pendant une incursion avec kidnappings, d’un commerçant tué par un élément du 223ème bataillon spécial et de l’arrestation d’un caporal de la 31ème brigade qui s’était improvisé coupeur de route. Hier, à Bahatsa-Maibo, bourg de la localité de Kyavikere, sept civils ont été kidnappés lorsqu’ils se rendaient aux champs. Parmi eux, l’épouse et les enfants du président de la Société civile de Mwenda. Des cibles non anodines…

Lorsqu’ils parlent de ces crimes, les habitants évoquent les Hiboux, les hommes de la 31ème Brigade, qui agissent dans l’ombre. 

Officiellement partie en juillet 2015, la tristement célèbre 31ème Brigade est toujours sur place.  Centre d’organisation des tueries, à l’époque de leurs débuts sous le commandement du général Mundos et du colonel Muhima, cette unité des forces spéciales de l’Armée a été plusieurs fois épinglée par les enquêteurs des NU, par des observateurs indépendants et des Ong.

Selon le rapport du Groupes d’études sur le Congo (GEC, « Mass killings in Beni territory : political violence, cover ups et cooptation ») du 9 septembre 2017, « le général Mundos a appuyé et dans certains cas organisé les massacres. Dans son rapport de 2016, le groupe d’experts des NU a confirmé l’implication de Mundos dans les tueries… avec fournitures d’armes, munitions et uniformes livrées aux exécuteurs. Deux parmi ces derniers ont témoigné au Groupe d’avoir reçu de l’argent par Mundos en rétribution des crimes ».

Une guerre non revendiquée

Dans un rapport confidentiel de la MONUSCO produit en mai 2016, et dont Maelezo Kongo s’est procuré une copie, on lit que « des commandants de la 31ème Brigade ont facilité, organisé et également payé les combattants qui menaient les attaques… Dans cette interaction, la 31ème Brigade établissait le nombre de civils qui auraient dû être tués ».  

Glaçant et explicite, l’ordre de mission de tuer les civils donné aux forces spéciales dépêchées par Kinshasa à Beni pour prévenir une éventuelle rébellion et terroriser les populations qui auraient pu la soutenir ne cesse pas, depuis, d’être exécuté. On en dénombre aujourd’hui 4000 morts et un millier de disparus environ.

Il serait une erreur de penser que les Beniciens sont en face à une cruauté irrationnelle survivant dans les coins obscurs du « Tiers Monde ». Il s’agit au contraire, dans ce cas de Beni, d’une forme très moderne des conflits d’aujourd’hui qui prennent par cibles les populations sans armes.

Elle correspond à une doctrine précise, avec modes d’action imprévisibles, « privilégiant l’intimidation et la manipulation, dans une forme de guerre nouvelle, indiscernable et non revendiquée», selon l’un de ses théoriciens actuels*.

*Général Thierry Burkhard, chef d’Etat-major de l’armée de terre française (CEMAT), Les 12 projets du général Burkhard pour préparer l’armée de Terre à un conflit de haute intensité, 17juin 2020. Zone militaire, Opex 360.com.  

Luigi Elongui

Post-scriptum : Considérée par plusieurs analystes et observateurs comme un laboratoire de crimes de guerre et contre l’humanité, la 31ème Brigade des FARDC sera l’objet d’une trilogie dans les prochaines livraisons de Maelezo Kongo, afin d’en mettre en évidence doctrine, méthodologie et mécanique.


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