Communication et guerre sur les haut-plateaux de l’Itombwe

Les officiers de l’armée congolaise (FARDC) au Sud-Kivu veulent faire taire les voix qui l’accusent de soutenir la coalition mobilisée dans une tentative de nettoyage ethnique de la communauté munyamulenge.

Pourtant, les faits sont têtus et avérés. Tout comme le rôle joué par les généraux à la manœuvre dans cette « opération spéciale ». Les mêmes qui furent envoyés à Beni en 2014 pour préparer et faire exécuter les premiers massacres. 

Un document interne du commandement FARDC de l’opération Sukola1 du Sud-Kivu (est de la république démocratique du Congo) a été publié le mardi 23 juin sur le compte tweeter de Bertrand Bisimwa, président de l’ancienne rébellion du M23. Il a été rédigé à l’attention des commandants des régiments 3301ème, 3407ème et 2202ème, auxquels les instructions sont données pour faire face à la « menace ennemie » d’occuper Minembwe, Bijombo et Mikenge dans les hauts-plateaux de l’Itombwee. Menace qui viendrait de « la coalition de groupes armés Makanika, Androïde, Twirwaneho, Gumino et autres », qui sont des formations d’auto-défense banyamulenge.

Le texte de cet ordre de service qualifié d’« urgent » tranche sur les doutes  relatifs à la prétendue neutralité de l’armée congolaise dans le conflit en cours depuis trois ans sur les hauts-plateaux de l’Itombwe.

Face aux agressions systématiques -villages incendiés, razzias de milliers de vaches, déplacements massifs, assassinats de civils- visant la communauté munyamulenge et actées par une union de forces hétérogènes comprenant milices ethniques congolaises et des mouvements d’opposition burundais,  l’armée « nationale » facilite les attaques de cette coalition, quand n’y participe pas elle-même.

Les deux cartes ci-dessous publiées sur le compte tweeter de Delphin Ntanyoma, politologue et chercheur de l’Institut of Social Studies à l’Université Erasmus de Rotterdam (Pays-Bas), illustrent la dynamique des événements : les localités assiégées et prises par cible par les assaillants sont proches des positions FARDC (et parfois de celles des Casques bleus de l’ONU). Des corridors ont été et sont établis pour le passage des milices et leur désengagement.

« Les assaillants ont traversé ces positions militaires pour attaquer les villages, de retour avec de milliers de bétail razziés, et ils ne se sont sentis jamais menacés! », commente Ntanyoma.

La politique de la terre brûlée accompagnée par le pillage du bétail -qui revêt une importance particulière dans la culture et le mode d’existence des Banyamulenge- et la destruction de vies humaines témoigne d’une volonté de déracinement et de déportation de cette communauté installée depuis deux siècles sur les haut-plateaux du Sud-Kivu. Une forme de « génocide par substitution », selon l’expression du romancier et politologue martiniquais Edouard Glissant.

Cette entreprise radicale de changement du paysage humain de la région avec l’établissement de camps de concentration pour les populations déplacées manu militari ne saurait pas être le fait de quelques milices tribales manipulées par des politiciens en mal de positionnement. La tentative de dispersion des Banyamulenge a été décidée, suite à d’accords secrets, par les armées de Kinshasa (FARDC) et de Kigali (FDR). Et, pour s’atteler à la tâche, les Forces de défense rwandaises ont noyauté le groupe burundais Red Tabara, allié des Maï Maï.   

La résistance des Banyamulenge met à mal le plan de déportation

Le tournant auquel on assiste aujourd’hui  est marqué par la résistance des groupes d’auto-défense banyamulenge. Ce qui met à mal la finalisation de l’œuvre, dont nous avons essayé d’expliquer les raisons dans le papier précédent de Maelezo Kongo (LA TRAQUE DES BANYAMULENGE : UN CONFLIT RÉGIONAL SOUS LA HOULETTE DE KIGALI ET KINSHASA, 23 juin).

Les réactions de l’Etat-major des FARDC du Sud-Kivu ont été virulentes. Non seulement sur le plan militaire, comme illustré par le premier document ci-haut, mais également au niveau de la communication. Comme prévu dans toute guerre dont l’adversaire est le civil, ou une communauté, il faut dissimuler la ‘proie’ et faire diversion…

Ainsi, depuis le 24 juin, l’ensemble de l’élite munyamulenge est sous pression, interdite d’accuser de la traque l’Armée, Kigali et les rebelles burundais : le conflit armé contre les Banyamulenge, aux dires des communicateurs des FARDC, est entretenu par les groupes Maï Maï issus des ethnies Bembe, Fuliro et Nyndu, dont le contentieux avec les premiers -ravivé de temps à autres par des politiciens extrémistes- date de dizaines d’années.      

« L’armée nationale a la mission de neutraliser les groupes armés sur le territoire national. Une opération sélective menace la cohésion nationale et provoque des frustrations. Massacres des Banyamulenge : les Fardc disparaissent. Autodéfense des Banyamulenge : les Fardc exhibent les muscles » (B. Bisimwa)

A Minembwe, les habitants ne démordent pas. Pendant une réunion publique de sécurité, nombreux intervenants ont dénoncé le déploiement des FARDC à soutien des Maï Maï et demandé le remplacement du général Muhima et de sa brigade, la 12ème.

Toujours est-il que le 25 juin les unités du général Akilimali Muhindo Mundos, commandant de la 33ème région militaire, et les forces supplétives Maï Maï et Red Tabara attaquent les positions du groupe d’auto-défense munyamulenge du colonel Makanika. Le même jour, le bureau de propagande de Mundos fait publier sur un support local, Congo Witness, des informations sur une réunion avec des « leaders Banyamulenge » qui auraient accusé « certains dirigeants politiques (Banyamulenge, ndr) ne vivant pas sur place (et) qui alimentent l’incompréhension ». Une opération de « sensibilisation » et de division de l’adversaire, dans les meilleures traditions de la communication de guerre et de l’action psychologique, dont les généraux Mundos et Muhima sont des experts depuis l’époque de Beni.

Leur rôle passé dans la cité benicienne entre octobre 2014 et juillet 2015 doit être en fait rappelé pour mieux comprendre ce qui se passe à Minembwe et en particulier les objectifs et la méthodologie des forces sous leur commandement. Bref, la détermination de « purification ethnique » et l’usage de milices supplétives et téléguidées pour dissimuler l’action des troupes « loyalistes »

Mundos est tombé sous sanctions onusiennes le 1er février 2018, deux ans après un rapport des experts des mêmes Nations unies qui l’accusait  « d’avoir recruté, financé et armé des membres des ADF pour qu’ils tuent des civils à Beni ». Quelques jours plus tard, c’est l’Union européenne à son tour, qui sanctionne cet officier également mentionné, en septembre 2017, par un rapport du Groupe d’Etudes sur le Congo, qui l’indiquait comme complice et co-auteur des principaux massacres à Beni. Dans sa livraison du 20 juin, Les ombres de la 31ème Brigade, action psychologique et meurtres en série, Maelezo Kongo a reporté  que « Selon le rapport du Groupes d’études sur le Congo (GEC, « Mass killings in Beni territory : political violence, cover ups et cooptation ») du 9 septembre 2017, « le général Mundos a appuyé et dans certains cas organisé les massacres. Dans son rapport de 2016, le groupe d’experts des NU a confirmé l’implication de Mundos dans les tueries… avec fournitures d’armes, munitions et uniformes livrées aux exécuteurs. Deux parmi ces derniers ont témoigné au Groupe d’avoir reçu de l’argent par Mundos en rétribution des crimes ». Quant aux « fournitures d’armes, munitions et uniformes livrées aux exécuteurs », il s’agit exactement de ce qui se passe aujourd’hui dans les hauts-plateaux de l’Itombwe, cette fois-ci à bénéfice des Maï Maï. 

Dieudonné Muhima, lui, était colonel à l’époque de Beni et adjoint de Mundos. Il jouait un rôle déterminant dans l’organisation des massacres, en assurant la liaison entre la 31ème Brigade qui dirigeait les opérations et d’autres unités FARDC déjà sur place. Actif sur le plan de la propagande et de la désinformation, Muhima s’occupait de museler les médias en menaçant de mort les journalistes qui témoignaient des responsabilités de l’armée dans les tueries. 

Dans tout cela, que fait-elle la MONUSCO ? La Mission onusienne regarde et, en date 25 juin, lance un communiqué d’appui logistique aux FARDC opérationnelles à Minembwe. On lit sur son compte tweeter : « MONUSCO Sud_Kivu, DRC. Logistic support to FARDC was provided by @MONUSCO Force in #Minembwe. It was a step towards ensuring hand in gloves approach and strengthening local law enforcement agencies for a collective cause of #PoC.@UNPeackeepers continue to support state for greater good ». For greater good, pour le plus grand bien… Celui de la décimation et de la déportation d’une communauté ?

Luigi Elongui


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