Petit éclairage sur les revendications du M23

Jeudi 12 décembre 2013 à Nairobi (Kenya), la rencontre entre les délégations du gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC) et de la rébellion du Mouvement du 23 mars (M23) fut scellée par des protocoles de paix à conclusion d’une guerre démarrée à mars 2021 et terminée à novembre 2013 avec le repli des insurgés en Ouganda.

Les termes de ces protocoles, suite à des séances de négociation tenues sous la facilitation du président ougandais Yoweri Museveni pour la Conférence internationale de la région des Grands lacs (CIRGL), furent établis dans trois documents distincts signés par les diverses composantes impliquées dans le processus de paix.

Le M23 déclarait de renoncer à la lutte armée et de mettre un terme à sa rébellion, alors que Kinshasa s’engageait à promulguer une loi d’amnistie pour les insurgés et à faciliter leur réinsertion dans la société. De son côté, le président Museveni proclamait la fin des pourparlers avec l’invitation adressée aux anciens belligérants d’en respecter les lettres de l’accord final.

Néanmoins, celles concernant le gouvernement ne furent jamais respectées. Fut ainsi que, sans promulgation de l’amnistie, combattants et militants du M23 ne purent pas rentrer au pays et demeurèrent pendant des années dans les camps des réfugiés en Ouganda.

A janvier 2017 toutefois, le général Sultani Makenga, vice-président du mouvement et commandant de son aile militaire (ARC), quitta l’Ouganda pour s’installer, avec quelques centaines de ses hommes, dans le mont Sabyinyo, dans les hauteurs volcaniques du Nord-Kivu, dans la province orientale de la RDC. Ce nouveau maquis se voulait inoffensif : bien que prêts à se défendre en cas d’attaque, les hommes de Makenga étaient toujours dans l’attente d’une conclusion positive des accords de Nairobi, dont l’application était déjà en retard de 4 ans. 

En 2019, suite à l’accès de Félix Tshisekedi Tshilombo à la magistrature suprême, des nouvelles tractations furent entamées à Kinshasa pour finaliser une fois pour toutes les protocoles de Nairobi. Cette nouvelle session de pourparlers était en train de se conclure avec des décisions communes et impliquant la présence des anciens rebelles dans un dispositif militaire visant la pacification du Kivu, quand, à novembre 2021, l’armée congolaise (FARDC) passa à l’offensive pour déloger les soldats de l’ARC de leurs bases dans le volcan Sabyinyo. 

Suite à une série d’affrontements sporadiques, le président du M23, Bertrand Bisimwa, lança plusieurs communiqués pour préciser que la finalité du mouvement n’était plus de reprendre la guerre  mais de s’asseoir à la table des négociations.

L’M23 proclama un cessez-le-feu unilatéral qui ouvrit la route au Conclave de Nairobi, organisé dans le cadre de l’East African Community (EAC), l’organisme régional auquel la RDC vient d’adhérer. Ce processus de paix démarra le 22 avril dernier sous le label d’« Dialogue consultatif entre le Président Félix Tshisekedi et les représentants des groupes armés locaux en République démocratique du Congo ».

Un départ positif, mais entaché par une erreur de vison, car cet amalgame entre l’M23, une organisation politico-militaire avec un programme et des objectifs, et l’ensemble des bandes armées tribales, qui écument l’Est aux ordres de notables locaux en mal de positionnement et commettent des exactions contre les civils, est considéré discutable par nombreux observateurs de la crise congolaise. Ces groupuscules, en fait appelés « Rebelles sans cause », s’adonnent au trafic des ressources et peu ont à voir avec un mouvement qui réclame leur éradication, la pacification du Kivu, le retour des réfugiés et un plan de développement pour les provinces orientales.

Toujours est-il que les autorités congolaises ont souvent fait recours à cette méthode pour escamoter les problèmes posés par l’M23 et en mélangeant tout dans le même panier. Cette attitude ambigüe retarde systématiquement la solution de la crise et peut être expliquée avec l’existence, au sein de l’opinion et de la classe politique congolaises, d’un courant extrémiste ultra-nationaliste et tribaliste. Ses composantes, animées par une aversion radicale contre les communautés rwandophones de l’Est, considèrent l’M23, où les membres de ces communautés sont fort présents, comme une milice de Kigali.   

La Conférence de Goma de 2008

Déjà à janvier 2008, suite à une série de guerres démarrée en 2004 contre le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) du général Laurent Nkunda Mihigo -dont l’M23 est la filiation-, le gouvernement de la RDC avait organisé la Conférence de Goma en présence non seulement de cette rébellion, mais de l’ensemble des groupes armés de l’Est. Les travaux de ces assises de paix aboutirent à une déclaration de fin des hostilités, dans laquelle Kinshasa prit divers engagements : une amnistie,  le retour des réfugiés et l’expulsion des rebelles hutus rwandais qui avaient participé au génocide des Tutsis en 1994 au Rwanda.

A l’époque, le président Joseph Kabila avait qualifié de « moment historique » cet événement. Mais, les conditions mêmes du déroulement des travaux de la Conférence et l’amalgame établi  entre des participants au profil si différent furent à l’origine de son rapide échec. Qui n’avait pas été le premier à vrai dire, car en 2007, et même avant, il y en avait eu d’autres.

En tout cas, l’amnistie ne fut pas promulguée, les réfugiés congolais survivent dans les camps en terre étrangère et les FDLR sont toujours dans le Kivu, à l’heure actuelle en train de supporter les FARDC et la MONUSCO dans une alliance contre nature contre l’M23.

C’est ainsi qu’à août de la même année 2008, les hostilités recommencèrent entre les FARDC et les troupes de Nkunda, tournant vite à l’avantage de ces dernières qui infligèrent une série de revers cuisants aux loyalistes. A ce point de la confrontation, le régime de Kinshasa était réellement en danger… Mais, qui vola à son secours ? Ce fut paradoxalement Kigali qui, encore une fois, avait été accusé par la communauté internationale de soutenir le CNDP.

Les autorités rwandaises organisèrent un « coup d’Etat » interne au mouvement nkundiste en s’appuyant sur le général Bosco Ntaganda, le chef d’Etat-major de l’armée rebelle.  La manœuvre réussit qu’en partie, car les officiers du CNDP pour la plupart restèrent fidèles à Nkunda. Mais les dés étaient désormais jetés. Nkunda se rendit au Rwanda le 20 janvier 2009, tout en sachant qu’il aurait été arrêté, et les autres commandants furent obligés de cesser les combats et de négocier avec le gouvernement.

Le 23 mars 2009, l’Accord de Goma fut adopté sur la base de 16 articles. Les principaux prévoyaient  la transformation du CNDP en parti politique, la réforme de l’Armée, le retour des réfugiés, l’amnistie pour les rebelles et la libération des prisonniers politiques et de guerre.  

La non-application réitérée des clauses de cet accord fut à l’origine, quatre ans après, d’une nouvelle rébellion. Qui prit le nom du M23, justement pour en indiquer la motivation basique, c’est-à-dire le non-respect des accords pris à l’Hôtel Ihusi de Goma le 23 mars 2009.

Le reste est une histoire connue.

La guerre en cours depuis novembre 2021 connaît une accalmie depuis une semaine et nombreuses défaites subies par l’armée régulière.

Pour l’arrêter, et avant qu’elle reprenne d’intensité, i faudra peut-être, et définitivement, s’attaquer à ses causes. 


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